Appel à communication
Crises et nouveaux modèles économiques : innovation, dynamiques entrepreneuriales et attractivité régionale
Le monde fait face à une simultanéité de crises, telles que les crises financières à répétition, les catastrophes écologiques et climatiques, la crise sanitaire, les conflits militaires régionaux qui s’internationalisent, les contestations politiques et révoltes et la crise alimentaire. La simultanéité, voire la concomitance de ces faits, mettent à mal le paradigme économique dominant, caractérisé par une mondialisation néolibérale, une économie de l’abondance et une destruction des ressources, et ont par conséquent produit des effets massifs et long-termistes sur l’économie mondiale. Ils induiront inévitablement des recompositions, de nouveaux équilibres et de nouveaux paradigmes, annonçant un nouveau virage économique.
Ces évolutions globales impliquent par ailleurs la redistribution des cartes en termes de rapports économiques, notamment la redéfinition des rapports Nord/Sud. Les pays du Sud traînant depuis des décennies des problématiques socioéconomiques qui se sont aiguisées avec la mondialisation, peuvent trouver dans ces crises de nouvelles opportunités pour ceux qui sauront saisir pleinement les nouvelles règles du jeu et composer avec ses réalités et injonctions paradoxales (la re-priorisation de la souveraineté économique, de la proximité et du local ; l’intensification de la mondialisation pour face aux risques globaux tels que les catastrophes climatiques et les crises sanitaires ; le basculement mondial irréversible dans la numérisation, la dématérialisation et l’intelligence artificielle, etc.) pour concevoir sur le temps long de nouveaux modèle économiques, basés sur l’innovation.
Il est donc impératif de réinventer l’économie par l’innovation. Le rôle de cette dernière dans la croissance économique a été largement établi par Schumpeter (1942), qui avait surtout montré que le progrès technique est à l’origine d’une croissance de long terme (Ben Slimane et Maarouf, 2017). Plus récemment, et à travers plusieurs initiatives, l’Union européenne (UE) s’est souvent engagée à favoriser l’innovation et la recherche dans les pays du Sud via un processus de découverte entrepreneuriale. L’objectif est double : (1) réduire les disparités régionales et (2) rester le plus avancé en termes de progrès technologique. Plus encore, les relations commerciales privilégiées entre l’Europe et des ensembles de pays, notamment, l’Afrique du Nord, sur la base d’un modèle d’interaction spatiale (Richard et Tobelem Zanin, 2009), a été à l’origine d’un transfert des politiques publiques d’innovation du Nord vers le Sud. Ainsi, en 2018, la Tunisie et le Maroc se sont appropriés le processus de conception de Stratégies de Spécialisation Intelligente (S3) initialement mis en place pour les régions européennes dans le but de faire évoluer des contextes nationaux et régionaux ayant des écosystèmes d’innovation très différents, de renforcer/ dynamiser ces écosystèmes régionaux et de réduire en conséquence les disparités régionales. D’une manière plus générale, les investissements étrangers directs, quelle que soit leur provenance, peuvent aussi nourrir une dynamique entrepreneuriale, grâce à l’apport de capitaux et d’activité (Couvert, Nibourel, 2021).
Le contexte actuel de crise montre que l’innovation demeure au cœur de la croissance fondée sur l’incertitude, le risque et le profit (Delorme, 2022). Le rôle de l’entrepreneur, de l’entreprise et des institutions publiques dans le renforcement des capacités d’innovation ainsi que dans l’application de nouveaux schémas organisationnels et modes de production et de consommation constitue plus que jamais un champ d’observation et d’analyse important (Uzunidis, Saulais, 2017 ; Boutillier, Uzunidis, 2017). Ainsi, dans le cas de la crise sanitaire, l’élargissement des connaissances scientifiques par des processus collaboratifs a permis l’émergence d’innovations pour tenter d’éradiquer le virus (Ben Slimane, 2020). Par l’acquisition, la combinaison et la mobilisation de ces compétences, l’acteur de l’innovation (entrepreneur ou organisation) crée des ressources technologiques et fait évoluer les relations qu’il entretient avec son environnement (Laperche, 2017). La dimension globalisée et collaborative gagnera à être soutenue et intégrée dans un cadre de formation de réseaux structurés qui faciliteraient la dynamique et la performance des activités innovantes sur le long terme, afin de soutenir la mutualisation de la recherche-développement-industrialisation-distribution de réponses sanitaires. Ces évolutions participent aussi au renouvellement du processus d’innovation et de valorisation des connaissances, qui supposent par ailleurs des ajustements internes en lien avec les relations évolutives avec le contexte socio-économique (Uzunidis, 2020).
Les conflits géopolitiques conduisent à une recomposition de l’économie mondiale autour de nouveaux équilibres et de nouveaux paradigmes régionaux, et amèneront probablement l’Union européenne et les autres pays du Nord à reconsidérer leurs partenariats avec le Sud sur de nouvelles bases s’appuyant sur l’innovation, de nouveaux blocs géopolitiques, géostratégiques et de partenariats régionaux sont en cours de redéfinition. La nécessité de mettre en avant de nouvelles sources d’attractivité régionale fait son chemin, notamment dans les pays du Sud, ainsi que l’importance de la proximité géographique et de la coopération entre blocs Nord et Sud. Cette prise de conscience va de pair avec celle de la nécessité de l’émergence de nouveaux modèles de développement innovants et produisant probablement l’innovation, poussant ainsi au développement d’une dimension « entrepreneuriale » humaine et intelligente avec de nouvelles spécialisations innovantes.
Enfin et de façon plus générique, le contexte actuel de crise multifactorielle oblige à « innover l’innovation » pour restaurer l’humain (inclusion et dignité humaine), le physique (environnement et écologie) et le biologique (santé et prévention des catastrophes sanitaires) au cœur des équations économiques et inscrire l’économie dans des modèles de durabilité forte (Beltramello, Bootz, 2022): innovation en termes de philosophie économique, de développement global, d’approches et de politiques publiques, de compétitivité des écosystèmes locaux, nationaux et régionaux, de business-models sectoriels et d’entreprises, mais également de modes de vie et de consommation.
Ces différentes considérations incitent à multiplier les regards et les lectures – selon différentes perspectives disciplinaires – du nouvel ordre économique qui se dessine, des nouveaux principes directeurs qui se mettent (ou doivent se mettre) en place sur les plans économique, social, politique et humain et des opportunités, gisements et modalités d’opérationnalisation de l’innovation qui s’annoncent.
Les contributions pourraient – à titre indicatif –s’inscrire dans l’un des sous-thèmes suivants :
- Le transfert des politiques publiques d’innovation du Nord vers le Sud : entre adoption et adaptation.
- Redéfinition des relations Nord-Sud, en particulier, entre l’Europe et l’Afrique; redéfinition des complémentarités et du co-développement ; nouvelles sources de l’intégration régionale.
- L’innovation au cœur des relations Nord-Sud.
- La formation à l’innovation et à l’entrepreneuriat innovant, et le rôle de l’appui des institutions internationales.
- Comment gérer la dualité entre pays du Nord et du Sud en matière de durabilité ?
- Crises et fuite des cerveaux : conséquences économiques et sociales/ opportunités et impacts sur le long-terme.
- Enjeux énergétiques, hydrauliques, alimentaires, écologiques et climatique, et rôle des politiques publiques.
- Emergence de nouveaux secteurs, nouveaux Business-Models dans les secteurs traditionnels –notamment dans l’agriculture et l’Agri business. Business-models durables.
- Les innovations financières et la transition écologique.
- Complémentarité horizontale des industries et dynamisation des échanges Sud-Sud (globales et sectorielles) ; reconfigurations de la spécialisation et de la division du travail entre les pays du Nord et du Sud.
- Nouvelles formes de la coopération entre les firmes du Nord et du Sud : Nouveaux fondements de la coopération interentreprises, nouvelles formes organisationnelles ; relocalisations industrielles, nouvelle(s) conception(s) du travail.
- Recomposition des territoires, systèmes d’innovation locaux et nouvelles chaînes de valeur territoriales
- Nouveaux facteurs de performance des écosystèmes entrepreneuriaux, nouveaux acteurs.
- Nouvelles opportunités entrepreneuriales : Innovation et nouvelles dynamiques entrepreneuriales, nouveaux Business Models, nouvelles formes et modalités de l’accompagnement entrepreneurial. Est-ce que les investissements étrangers directs peuvent générer la création d’entreprises ?
- Inclusion économique: Avenir et pistes de renouveau de l’entrepreneuriat social et solidaire ; économie circulaire.
- Financement durable et inclusif de l’innovation : Les freins à l’inclusion financière, nouveaux modèles de financement, etc.
Références :
- Beltramello, P., Bootz, J., 2022. “How should We Operationalize Bioeconomics for Strong Sustainability? Toward a Transdisciplinary and Systemic Approach in Line with a Georgescu-Roegen Epistemology”. Journal of Innovation Economics & Management, 38, 63-91. https://doi.org/10.3917/jie.pr1.0115.
- Ben Slimane, S., 2020, “Rethinking the National System of Innovative Entrepreneurship (Repenser le système national d’entrepreneuriatinnovant), in “Managing a Post-covid19 Era”, (ed) Bunkanwanicha, P.,Coeurderoy, R., Ben Slimane, S. ESCP impact papers, http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3688242
- Ben Slimane, S., Ramadan, M., 2017. « Le système national d’innovation dans les pays du Maghreb : entre failles structurelles et besoin de coordination et de gouvernance appropriées ». Innovations, 53, 105-127. https://doi.org/10.3917/inno.pr1.0017
- Boutillier, S., Uzunidis, D., 2017, “The entrepreneur”, Ed: ISTE/Wiley, London.
- Couvert, C., Nibourel, C., 2021, « Pour une stratégie d’investissements directs étrangers en France soutenables et responsables », Les avis du CESE.
- Laperche, B., 2017, “Enterprise Knowledge Capital, Smart Innovation”, Ed: ISTE/Wiley, London.
- Uzunidis, D., 2020, « Introduction générale. De la systémique de l’innovation aux systèmes complexes », Marché et organisations, vol 3 (n° 39), pp 9 – 15.
- Uzunidis, D., Saulais, P., 2017, “Innovation Engines: Entrepreneurs and Enterprises in a Turbulent World”, Innovation in Engineering and Technology, edISTE/Wiley, London.
- Richard Y., Tobelem Zanin C. 2009, « L’Europe dans la régionalisation de l’espace mondial », Géocarrefour ,Vol. 84/3 | 2009. http://journals.openedition.org/geocarrefour/7383